Elle s’est invitée avec fracas dans le milieu de la lutte en
faisant des pronostics gagnants. Elle, c’est Selbé Ndom, cette voyante au
centre de toutes les discussions et devenue une star au même titre que les
lutteurs.
Elle ne mâche pas ses
mots et va droit au but. Elle a le courage de ses pensées et de ses
prédictions, Selbé Ndom, voyante décomplexée, s'est positionnée comme la peur
bleue des belligérants du dimanche. Celle qui a osé aller aux antipodes des
présages des Saltigués du Sine Saloum, a finalement eu raison sur les «dieux»
sérères : «Yékini est tombé ! » Depuis, Madame fait causer dans tout le pays et
en dehors.
Après une enfance peu
aisée, une adolescence très tôt perturbée par un mariage précoce, la voyante
ultra-médiatisée est devenue incontournable dans son monde. Cette quadra aux
charmes de « semi- drianké », native du centre-ville dakarois;
s'avance en enfant de la balle : «J'ai commencé à lire l'avenir dès mon plus
jeune âge. On me surnommait la sorcière de la famille, car tout ce que je
prédisais se produisait». Corpulente dans un boubou traditionnel d'un blanc
immaculé, embelli d'un foulard de tête de la même couleur, elle rayonne du haut
de son mètre 60 pour 65 kg.
Regard lointain sur
un visage pâli par les nombreuses séances de divination, comme pour scruter
l'horizon et replonger dans son passé, Selbé Ndom confesse sa rude enfance,
salement secouée par un quotidien paumé, issue d'une famille qui tire le diable
par la queue, elle a arrêté ses études à l'aube de son adolescence, en classe
de CM2. Régulièrement inscrite dans un institut franco-arabe, elle y a appris
le Coran et l'arabe. Toutefois, dans son for intérieur, Selbé nourrissait le
rêve de prendre un jour la craie pour enseigner à ses cadets. L'appel de la
chair aura été plus fort, puisqu'elle va raccrocher ses ambitions pour aider sa
mère dans la confection de colliers artisanaux. Sur cette lancée, elle a aussi
accompagné sa génitrice lorsqu'elle se rendait dans les locaux de la défunte
compagnie d'aviation Air Afrique pour récupérer des tasses à jeter, qu'elles
revendaient. Les stigmates sur ses mains témoignent de cette époque où gagner
sa vie relevait d'un parcours du combattant.
Sixième d'une famille de 14
«bouts de bois de Dieu», 45ans, la voyante aujourd'hui célébrée est l'unique
fille de son papa. Ce qui lui a valu d'être taxée de chouchoute du vieux
réparateur de télé et de radio. Pa Ndom (le père), comme ils aimaient
l'appeler, était un fervent disciple mouride, descendant de la famille de
Serigne Abdou Karim Touré. Un papa chez qui elle a hérité la rigueur, le
sérieux dans le travail et en moral d'acier. Ces forces de caractère lui ont
permis de faire face aux quolibets et d’autres moqueries de ses camarades, qui
ne perdaient jamais une occasion de la railler, en la taxant de fille de
pauvre.
Femme casanière. Selbé
n'a jamais froid aux yeux. Seule fille de la fratrie des Ndom, elle a appris à
se défendre toute seule. Selbé n'a jamais baissé les bras devant les multiples
aléas de la vie. Aujourd'hui, orpheline de père et de mère, elle vit dans une
modeste maison à Boune, village situé entre Malika et Keur Massar. Elle est
devenue une mère-poule pour le reste de sa famille. Maman de deux enfants (une
fille et un garçon), elle mène sa vie paisiblement, sans un homme pour lui
tenir compagnie.
Aujourd'hui, Selbé a décidé
de raccrocher son «nguimb», de s'extraire de l'arène, «Je ne prédirai plus
jamais dans des combats de lutte. ». Une phrase sèche, mais qui cache en toile
de fond les inquiétudes de ses enfants. Selbé a avoué qu’avant le combat
opposant «Yékini-Balla Gaye 2», elle a reçu des menaces de mort qui avaient perturbé toute sa famille. Alors, poussée par
son amour maternel, elle a décidé de raccrocher, de ne plus descendre dans
l'arène.
Présentement, elle ne se
consacre qu'à son travail de voyance pour des privés. Des rastas sur la tête,
cette voyante d'une générosité extraordinaire, croit aux valeurs humaines.
Quoique soupe-au-lait («Quand elle s'énerve, c'est difficile de la calmer»,
soufflent ses proches), Selbé Ndom ne se prend pas trop la tête pour des
futilités. Elle n'est pas obsédée par le côté matériel et les «bonnes manières»
: «Je ne sais pas manger avec une fourchette», sourit-elle. C'est d'ailleurs
l'une des principales raisons qui font qu'elle est surnommée «Yaye Fall». En
témoignent ses rastas noués sous une écharpe.
Selbé se présente comme
une sorte d'«élue de Dieu» : «J'ai commencé à m'amuser avec les cauris en 1982.
À l'époque, je le faisais par pur plaisir. C'est devenu plus sérieux quand ça a
commencé à m'apparaître souvent en songe. J'ai commencé à être acculée par des
forces mystérieuses qui me réclamaient de m'activer entièrement dans la
voyance. Hésitante au début, j'ai fini par céder à l'appel des cauris.»
Aujourd'hui, elle tient son entreprise, «Selbé Voyance», composée de sa propre famille
(ses deux enfants) et quelques jeunes du quartier. L'affaire tourne en plein
régime : «J'ai une fois prié dans le mausolée de Sergine Touba. Je lui avais
demandé de me donner le sens du partage et de satisfaire toute personne qui est
dans le besoin.»
Actuellement, sa prière a
été exaucée. Son entreprise est bien structurée et très lucrative. Dans son
cabinet de voyance qui est sa maison, ce sont les jeunes qui lui servent de
chambellans et qui se chargent de l'organisation, en octroyant à chaque patient
un ticket. Sa fille s'occupe des relations avec les Sénégalais de l'extérieur
qui s'attachent ses services. Et chacun de ses employés est rémunéré
quotidiennement.
Bien assise sur son
matelas ou elle pratique son art divinatoire, Selbé, au teint marron, est une
voyante qui voit clair, selon ses clients trouvés sur place. « Trois fois
de suite, Selbé a consulté les cauris et trois fois de suite, elle a vu la
victoire de Balla Gaye 2 sur Yékini », confesse son fils.