mercredi 20 juin 2012

Portrait de Selbé Ndom



Elle s’est invitée avec fracas dans le milieu de la lutte en faisant des pronostics gagnants. Elle, c’est Selbé Ndom, cette voyante au centre de toutes les discussions et devenue une star au même titre que les lutteurs.
Elle ne mâche pas ses mots et va droit au but. Elle a le courage de ses pensées et de ses prédictions, Selbé Ndom, voyante décomplexée, s'est positionnée comme la peur bleue des belligérants du dimanche. Celle qui a osé aller aux antipodes des présages des Saltigués du Sine Saloum, a finalement eu raison sur les «dieux» sérères : «Yékini est tombé ! » Depuis, Madame fait causer dans tout le pays et en dehors. 
Après une enfance peu aisée, une adolescence très tôt perturbée par un mariage précoce, la voyante ultra-médiatisée est devenue incontournable dans son monde. Cette quadra aux charmes de « semi- drianké », native du centre-ville dakarois; s'avance en enfant de la balle : «J'ai commencé à lire l'avenir dès mon plus jeune âge. On me surnommait la sorcière de la famille, car tout ce que je prédisais se produisait». Corpulente dans un boubou traditionnel d'un blanc immaculé, embelli d'un foulard de tête de la même couleur, elle rayonne du haut de son mètre 60 pour 65 kg. 
 Regard lointain sur un visage pâli par les nombreuses séances de divination, comme pour scruter l'horizon et replonger dans son passé, Selbé Ndom confesse sa rude enfance, salement secouée par un quotidien paumé, issue d'une famille qui tire le diable par la queue, elle a arrêté ses études à l'aube de son adolescence, en classe de CM2. Régulièrement inscrite dans un institut franco-arabe, elle y a appris le Coran et l'arabe. Toutefois, dans son for intérieur, Selbé nourrissait le rêve de prendre un jour la craie pour enseigner à ses cadets. L'appel de la chair aura été plus fort, puisqu'elle va raccrocher ses ambitions pour aider sa mère dans la confection de colliers artisanaux. Sur cette lancée, elle a aussi accompagné sa génitrice lorsqu'elle se rendait dans les locaux de la défunte compagnie d'aviation Air Afrique pour récupérer des tasses à jeter, qu'elles revendaient. Les stigmates sur ses mains témoignent de cette époque où gagner sa vie relevait d'un parcours du combattant. 
Sixième d'une famille de 14 «bouts de bois de Dieu», 45ans, la voyante aujourd'hui célébrée est l'unique fille de son papa. Ce qui lui a valu d'être taxée de chouchoute du vieux réparateur de télé et de radio. Pa Ndom (le père), comme ils aimaient l'appeler, était un fervent disciple mouride, descendant de la famille de Serigne Abdou Karim Touré. Un papa chez qui elle a hérité la rigueur, le sérieux dans le travail et en moral d'acier. Ces forces de caractère lui ont permis de faire face aux quolibets et d’autres moqueries de ses camarades, qui ne perdaient jamais une occasion de la railler, en la taxant de fille de pauvre. 
Femme casanière. Selbé n'a jamais froid aux yeux. Seule fille de la fratrie des Ndom, elle a appris à se défendre toute seule. Selbé n'a jamais baissé les bras devant les multiples aléas de la vie. Aujourd'hui, orpheline de père et de mère, elle vit dans une modeste maison à Boune, village situé entre Malika et Keur Massar. Elle est devenue une mère-poule pour le reste de sa famille. Maman de deux enfants (une fille et un garçon), elle mène sa vie paisiblement, sans un homme pour lui tenir compagnie. 
Aujourd'hui, Selbé a décidé de raccrocher son «nguimb», de s'extraire de l'arène, «Je ne prédirai plus jamais dans des combats de lutte. ». Une phrase sèche, mais qui cache en toile de fond les inquiétudes de ses enfants. Selbé a avoué qu’avant le combat opposant «Yékini-Balla Gaye 2», elle a reçu des menaces de mort qui avaient  perturbé toute sa famille. Alors, poussée par son amour maternel, elle a décidé de raccrocher, de ne plus descendre dans l'arène. 
Présentement, elle ne se consacre qu'à son travail de voyance pour des privés. Des rastas sur la tête, cette voyante d'une générosité extraordinaire, croit aux valeurs humaines. Quoique soupe-au-lait («Quand elle s'énerve, c'est difficile de la calmer», soufflent ses proches), Selbé Ndom ne se prend pas trop la tête pour des futilités. Elle n'est pas obsédée par le côté matériel et les «bonnes manières» : «Je ne sais pas manger avec une fourchette», sourit-elle. C'est d'ailleurs l'une des principales raisons qui font qu'elle est surnommée «Yaye Fall». En témoignent ses rastas noués sous une écharpe. 
Selbé se présente comme une sorte d'«élue de Dieu» : «J'ai commencé à m'amuser avec les cauris en 1982. À l'époque, je le faisais par pur plaisir. C'est devenu plus sérieux quand ça a commencé à m'apparaître souvent en songe. J'ai commencé à être acculée par des forces mystérieuses qui me réclamaient de m'activer entièrement dans la voyance. Hésitante au début, j'ai fini par céder à l'appel des cauris.» Aujourd'hui, elle tient son entreprise, «Selbé Voyance», composée de sa propre famille (ses deux enfants) et quelques jeunes du quartier. L'affaire tourne en plein régime : «J'ai une fois prié dans le mausolée de Sergine Touba. Je lui avais demandé de me donner le sens du partage et de satisfaire toute personne qui est dans le besoin.»
Actuellement, sa prière a été exaucée. Son entreprise est bien structurée et très lucrative. Dans son cabinet de voyance qui est sa maison, ce sont les jeunes qui lui servent de chambellans et qui se chargent de l'organisation, en octroyant à chaque patient un ticket. Sa fille s'occupe des relations avec les Sénégalais de l'extérieur qui s'attachent ses services. Et chacun de ses employés est rémunéré quotidiennement. 
 Bien assise sur son matelas ou elle pratique son art divinatoire, Selbé, au teint marron, est une voyante qui voit clair, selon ses clients trouvés sur place. « Trois fois de suite, Selbé a consulté les cauris et trois fois de suite, elle a vu la victoire de Balla Gaye 2 sur Yékini », confesse son fils.